Le statut du compte de tiers de l'avocat
Présentation des faits 1
L'administration fiscale procède à une saisie des avoirs se trouvant sur les comptes ouverts auprès d'un établissement de crédit par son débiteur, avocat de profession. Parmi ces différents comptes se trouve celui ouvert par l'avocat, conformément à ses obligations déontologiques, afin de recevoir des fonds provenant et à destination de tiers.
L'avocat disparait sans laisser d'adresse et l'Ordre des avocats du barreau de Liège désigne un de ses confrères en qualité de liquidateur. Ce dernier demande à la banque de lui remettre les fonds se trouvant sur le compte de tiers.
Suite à cela, l'État belge assigne l'établissement de crédit devant le juge des saisies de Liège, lequel rejette la demande au motif que les fonds détenus par un avocat « ne peuvent être saisis à charge de celui-ci, mais uniquement à charge de leur propriétaire réel et entre les mains du détenteur ». Cette décision fait l'objet d'un recours en cassation, lequel abouti à une censure de l'arrêt.
Le Tribunal de première instance de Verviers, statuant sur renvoi, décide que « les fonds déposés par un titulaire sur un compte spécial affecté exclusivement à la réception de fonds provenant des clients sont détenus à titre précaire par le titulaire du compte et ne font pas partie de son patrimoine ». Cette règle s'applique aux comptes professionnels de l'avocat, de sorte que ceux-ci ne peuvent faire l'objet d'une saisie-arrêt pratiquée par un créancier à charge du titulaire de ce compte spécial.
L'Etat belge introduit un nouveau pourvoi contre cette décision.
Décision de la Cour de cassation
La Cour de cassation casse l'arrêt rendu par le tribunal de première instance de Verviers
En effet, elle relève qu'en l'absence d'une disposition légale spécifique, les fonds qui sont déposés sur un compte de tiers ouvert en son nom par un avocat font partie de la créance de cet avocat contre la banque et ne se distinguent pas de l'ensemble de son patrimoine.
Par conséquent, les créanciers personnels de l'avocat peuvent, saisir-arrêter entre les mains de la banque le solde créditeur de ce compte.
Bon à savoir
Le compte de tiers d'un avocat (compte carpa) fait partie de ce qu'on appelle les 'comptes de qualités'. Ceux-ci sont définis, en droit belge, comme les comptes que le teneur de compte ouvre dans l'exercice d'une fonction ou d'une qualité déterminée, c'est-à-dire non pas pour son propre compte, mais pour le compte d'une ou plusieurs autres personnes ou patrimoines 2.
Dans son arrêt du 27 janvier 2011, la Cour de cassation, statuant sur la possibilité de saisir les avoirs situés sur le compte de tiers de l'avocat, a adopté une position ferme en l'absence de disposition législative qui protège ce compte de tiers 3. Elle a en effet estimé que les créanciers personnels de l'avocat pouvaient saisir-arrêter entre les mains de la banque le solde créditeur du compte des tiers 4.
Cet arrêt a fait l'objet de critiques de la part de nombreux auteurs qui considéraient que seuls les comptes personnels de l'avocat appartiennent à son patrimoine et peuvent dès lors faire l'objet de saisies 5.
Pour contrer cette jurisprudence, le législateur a décidé d'intervenir en réglementant cette matière par une loi du 22 novembre 2013 6 et par une loi du 21 décembre 2013 modifiant le Code judiciaire en ce qui concerne le compte de qualité des avocats 7, lesquelles sont entrées en vigueur le 1er juin 2014. Premièrement, l'article 446 quater du Code judiciaire énonce que les avocats sont tenus de créer une distinction entre leurs fonds propres et les fonds de tiers et reprend les règles déjà contenues aux articles 4.54 à 4.56 du Code de déontologie de l'avocat.
Deuxièmement, un article 8/1 a été inséré dans la loi hypothécaire afin de consacrer le principe de la séparation des patrimoines en ce qui concerne les comptes de tiers de l'avocat. Les avoirs placés au profit d'un tiers sur le compte de qualité de l'avocat sont distraits de son patrimoine personnel 8. Ils ne font donc pas partie du gage commun de ses créanciers personnels et toutes les opérations afférentes à ceux-ci peuvent être opposées à la masse pour autant qu'elles aient un lien avec l'affectation de ces sommes, titres et valeurs au porteur 9.
Le principe est donc l'insaisissabilité du compte de tiers. Cependant, le législateur laisse une possibilité de saisir les fonds présents sur le compte de tiers de l'avocat mais celle-ci est prévue de manière exceptionnelle. L'objectif est d'éviter que le titulaire du compte ne l'utilise pour échapper à ses créanciers, en y plaçant des avoirs privés. Les créanciers de l'avocat conservent donc la possibilité de prouver, en cas d'abus, que l'avocat a fait un usage impropre du compte 10.
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Cass. 27 janvier 2011, J.T., 2011/9, p. 162.
2. R. Houben, « De la possibilité de saisir le compte de tiers d'un avocat (compte carpa) », R.D.C.-T.B.H., 2011/6, p. 575.
3. G. de Leval et F. Georges, « Le statut du compte de tiers de l'avocat : dura lex... », J.T., 2011/9, p. 164.
4. Cass. 27 janvier 2011, J.T., 2011/9, p. 162.
5. Voy. notamment : R. Houben, « De la possibilité de saisir le compte de tiers d'un avocat (compte carpa) », R.D.C.-T.B.H., 2011/6, p. 575.
6. Loi du 22 novembre 2013 modifiant la loi du 25 ventôse an XI contenant organisation du notariat en ce qui concerne le compte de qualité des notaires et la loi hypothécaire du 16 décembre 1831 en ce qui concerne le compte de qualité des avocats, des notaires et des huissiers de justice.
7. Loi du 21 décembre 2013 modifiant le Code judiciaire en ce qui concerne le compte de qualité des avocats.
8. Proposition de loi modifiant la législation en ce qui concerne les comptes de qualité des avocats, des notaires, des huissiers de justice et la séparation des patrimoines, Doc. Parl., Ch. Repr., sess. ord. 2010-2011, n°53-1661/001, p. 15.
9. Article 8/1 de la loi hypothécaire.
10. Proposition de loi modifiant la législation en ce qui concerne les comptes de qualité des avocats, des notaires, des huissiers de justice et la séparation des patrimoines, Doc. Parl., Ch. Repr., sess. ord. 2010-2011, n°53-1661/001, p. 15