L'incidence de la compétence du client sur l'obligation de conseil de l'avocat
Présentation des faits
Le 23 mars 1989, un bailleur et un locataire ont conclu un contrat de bail commercial relatif à un immeuble sis à Bruxelles, comprenant un rez-de-chaussée commercial, quatre studios et quatre chambres d'étudiants avec caves.
L'article 3 du contrat de bail commercial prévoyait :
« La destination du bien loué est :
a. au rez-de-chaussée : vente en gros et au détail de bijouterie, horlogerie, cadeaux et articles connexes ;
b. aux étages : habitation et/ou bureaux.
Cette destination ne peut être changée sans autorisation préalable et écrite du bailleur ».
Un avenant au contrat stipule cependant que la destination du rez-de-chaussée commercial est la vente en gros et au détail de bijouterie, horlogerie, cadeaux et articles connexes, galerie d'art ou autre commerce.
Le contrat de bail est, ensuite, cédé par le locataire à la SA Y, aux termes d’une convention du 27 octobre 1994.
Le 8 décembre 1994, la SA Y a sous-loué le rez-de-chaussée commercial à une SPRL, en vue de l'installation d'un magasin de prêt-à-porter féminin et de bijoux de fantaisie, pour une durée équivalente au bail commercial principal. Les étages, quant à eux, ont été sous-loués à divers particuliers.
Par citation du 17 mars 1995, le bailleur principal a sollicité la résiliation du bail en raison de l'absence de constitution de la garantie locative prévue par le contrat et de la modification de la destination des lieux où s'exerce le commerce. Le juge de paix d’Ixelles, par un jugement rendu par défaut le 7 juin 1995, a prononcé la résiliation du bail aux torts exclusifs de la SA Y, laquelle a formé opposition contre ce jugement le 5 juillet 1995.
Le 7 mars 1997, le conseil du bailleur principal a informé le conseil de la SA Y que celle-ci n'avait pas introduit de demande de renouvellement du bail dans le délai légal et que le contrat prendrait, dès lors, fin de plein droit le 30 avril 1998.
Par procès-verbal de comparution volontaire du 11 mars 1999, la SA Y a sollicité la condamnation de X à lui payer des dommages et intérêts, à titre de réparation pour le préjudice subi par la faute professionnelle alléguée de son conseil qui aurait omis de signaler ou de rappeler au locataire la période de demande de renouvellement du bail commercial.
Par son jugement du 14 octobre 2002, le Tribunal de première instance de Bruxelles retient la faute professionnelle de l’avocat et le condamne au paiement de dommages et intérêts.
L’assureur RC professionnel de l’avocat interjette alors appel du jugement.
Décision de la Cour d’appel de Bruxelles
La Cour d’appel de Bruxelles rappelle tout d’abord que l’avocat est tenu de conseiller son client sur les options qui s'ouvrent à lui et de le mettre en garde quant aux risques qui résulteraient de certaines options choisies. Toutefois, cette obligation de conseil sera atténuée par les compétences du client. Ce n'est, en effet, que si les connaissances du client sur certains points ont été vérifiées par l'avocat ou sont certaines qu'il pourra se dispenser de l'éclairer sur ces points.
La Cour d’appel précise ensuite que l'obligation de l'avocat est une obligation de moyens. Si le résultat souhaité par le client n'est pas obtenu, il appartient à ce dernier de prouver que tous les moyens n'ont pas été mis en œuvre par son avocat et que celui-ci a donc commis une faute. A cet égard, la faute de l'avocat consiste à ne pas agir comme l'aurait fait, dans les mêmes circonstances, un avocat normalement prudent et diligent.
Elle considère, en l’espèce, que l'avocat C ne pouvait ignorer que Y souhaitait rester dans les lieux loués. Il est, en effet, intervenu dans la procédure sur opposition par laquelle Y contestait la résiliation du bail. Il appartenait donc à l'avocat de mettre en œuvre tous les moyens légaux à sa disposition pour permettre au contrat de bail de subsister et, notamment, d’avertir Y de la nécessité de demander le renouvellement du bail, d’autant plus que sa connaissance des règles applicables en matière de bail commercial était imparfaite.
Dès lors, la Cour d’appel de Bruxelles décide qu’en proposant à la société Y, dans son courrier, de laisser dormir le dossier alors que le délai pour demander le renouvellement du bail n'était pas encore expiré, il a commis une faute dans son devoir de conseil. En effet, il lui a conseillé expressément de ne pas agir alors qu'il lui appartenait de mettre sa cliente en garde contre l'échéance du délai de demande de renouvellement du bail commercial.
Bon à savoir
L'avocat est tenu de conseiller son client sur les options qui s'ouvrent à lui et de le mettre en garde quant aux risques qui résulteraient de certaines options choisies. Il ne doit pas attendre passivement les instructions que le client lui donnera éventuellement mais, il doit prendre l'initiative de rendre celui-ci attentif à des embûches, des obligations légales ou des formalités à accomplir 2.
Toutefois, l’obligation de conseil de l’avocat sera atténuée en présence d’un client avisé 3. En effet, si les connaissances du client sur certains points ont été vérifiées par l'avocat ou sont certaines, il pourra se dispenser de l'éclairer sur ces points.
Cette obligation de l'avocat est une obligation de moyens 4, de sorte que la faute de l'avocat est retenue lorsque ce dernier n’a pas agi comme l'aurait fait, dans les mêmes circonstances, un avocat normalement prudent et diligent 5.
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Bruxelles, 10 novembre 2006, J.L.M.B., 2008, liv. 44, p. 229.
2. Liège, 22 décembre 1998, J.L.M.B., 2000, p. 242.
3. Mons, 24 janvier 2002, J.L.M.B., 2003, p. 1671, obs. J.P. BUYLE, " L’étendue du devoir d’information et de conseil de l’avocat ") ; Civ. Charleroi, 12 septembre 2006, J.L.M.B., 208, p. 246.
4. B. TROIANI, « La responsabilité de l'avocat dans la consultation et la négociation », Ann. dr. Louvain, 1996, pp. 367-368.
5. P. DEPUYDT, La responsabilité de l'avocat et de l'huissier de justice, Gand, Story-Scientia, 1984, p. 26.