Le recours à un collaborateur pour se faire représenter à l'audience
Présentation des faits 1
Maître X a été consulté par Madame A. au sujet d'un permis délivré le 21 mai 2004 à la société B. en vue de l'exploitation d'une surface commerciale avec boucherie et plusieurs places de parking sur une parcelle contigüe à sa propriété.
Se fondant sur l'illégalité dudit permis, Madame A. a introduit une procédure en référé afin d'obtenir la suspension et l'interdiction des travaux effectués pour la réalisation de cette surface commerciale.
La présidente du Tribunal de première instance de Liège, siégeant en référé, a débouté Madame A. de sa demande, à défaut d'urgence.
Madame A. a refusé de payer les honoraires de Maître X, considérant qu'il a commis une faute professionnelle en introduisant une action judiciaire devant le président du tribunal, statuant en référé, qui était selon elle inutile et vouée à l'échec dès lors qu'il était acquis d'avance qu'il n'y avait pas une réelle urgence. Madame A. reproche également à Maître X de s'être fait remplacer à l'audience de plaidoiries par une avocate inexpérimentée.
Par citation du 13 juin 2007, Maître X a cité, devant le juge de paix de Herstal, Madame A. en paiement de ses honoraires, à majorer des frais d’huissier, soit en paiement d’une somme de 1.172,56 euros, ainsi que d’une somme forfaitaire de 350 euros à titre de frais de défense.
Par conclusions, Madame A. a introduit une demande reconventionnelle, par laquelle elle demande le remboursement des provisions versées, ainsi que le versement d’une indemnité à titre de dommage moral pour procédure téméraire et vexatoire.
Par jugement du 24 avril 2009, le magistrat cantonal d’Herstal a fait droit à la demande de Maître X et a débouté madame A. de sa demande reconventionnelle.
Par requête déposée au greffe le 25 mai 2009, madame A. a interjeté appel de ce jugement.
Maître X demande à titre principal de déclarer l'appel irrecevable et de réformer le jugement a quo, en ce qu'il se dit exécutoire par provision alors qu'il était définitif.
A titre subsidiaire, il demande la confirmation du jugement entrepris et introduit une demande incidente nouvelle en vue d'obtenir la condamnation de Madame A. à lui payer 250 euros à titre de dommages et intérêts pour appel téméraire et vexatoire.
Décision du Tribunal civil de Liège
Le Tribunal civil de Liège rappelle tout d’abord que les liens qui unissent l'avocat à son client sont de nature contractuelle et la responsabilité de l'avocat est de même nature. Il s'agit d'un louage d'entreprise, lorsque l'avocat donne ses consultations et plaide, et d'un mandat lorsqu'il représente son client. Sa responsabilité envers son client est différente selon le rôle qu'il est appelé à jouer et la mission qu'il remplit.
Le Tribunal civil rappelle également que l'avocat a une obligation de moyen concernant les aspects matériels de son intervention, tandis qu'il a une obligation de résultat pour les aspects plus formels de celle-ci 2.
Les manquements reprochés par Madame A. relèvent de l'obligation de moyen, ses griefs portant sur les choix procéduraux que Maître X lui a conseillés de faire. Il convient donc d'apprécier le comportement de Maître X par rapport au comportement dont aurait fait preuve un avocat normalement prudent et diligent placé dans les mêmes circonstances.
En l'espèce, il est reproché à Maître X d'avoir effectué des prestations inutiles et d'avance vouées à l'échec.
Madame A. a consulté Maître X en février 2005 en raison de nuisances que lui causait la construction d'un parking Aldi. Elle précise avoir fait appel à ce conseil en raison de ses compétences particulières en matière d'urbanisme et de droit de l'environnement.
Par courrier du 28 février 2005, Maître X l'a informée qu'un recours au Conseil d'Etat n'était plus possible car il était tardif, ajoutant toutefois que le permis octroyé par le ministre pour la construction du magasin et du parking était illégal.
Maître X a proposé à Madame A. de saisir le juge civil en référé et au fond pour obtenir la cessation des travaux illégaux.
Madame A. était donc parfaitement informée des choix procéduraux proposés par Maître X et n'a pas formulé d'observations pour préciser le cas échéant que son intention première n'était pas la cessation des travaux, mais le recul de l'implantation du parking. Au contraire, par courrier du 16 mars 2005, Madame A. s'est inquiétée de la date de fixation de l'audience en référé eu égard à l'état déjà avancé des travaux et, par courrier du 21 mars 2005, elle a explicitement précisé que la meilleure solution serait l'interdiction de construire ce magasin et le parking, confortant Maître X dans ses choix procéduraux.
Le moyen invoqué étant le caractère illégal du permis délivré pour le magasin et le parking, Maître X n'avait pas d'autre choix que de demander la cessation des travaux pour l'ensemble de la construction. La procédure en référé introduite par Maître X était donc motivée par le fait qu'il fallait, conformément aux souhaits de Madame A., tenter d'interrompre d'urgence les travaux avant qu'ils ne soient trop avancés pour obtenir leur retour dans leur pristin état.
En outre, parallèlement à cette procédure en référé introduite en mars 2005, Maître X a continué ses démarches auprès du fonctionnaire-délégué afin de l'inviter à contrôler la conformité des travaux par rapport au permis délivré et à ordonner la suspension des travaux.
Le Tribunal civil estime que le simple fait que Maître X n'a pas été suivi dans sa thèse par la présidente du tribunal ne peut suffire à établir une faute dans son chef, la présidente ayant considéré qu'il n'y avait pas d'urgence au motif que Madame A. n'avait pas attaqué le permis délivré devant le Conseil d'Etat en temps utile.
Enfin, selon le tribunal, le seul fait pour Maître X d'avoir eu recours à une collaboratrice pour le représenter à l'audience n'est pas une faute professionnelle et ce, d'autant qu'il ressort des échanges de courriers, qu'elle est intervenue à plusieurs reprises dans le dossier, ce qui démontre sa parfaite connaissance du litige.
Par conséquent, le Tribunal civil de Liège considère que, dans la mesure où Madame A. ne démontre pas que Maître X a commis une faute professionnelle, celle-ci doit être condamnée au paiement des honoraires postulés par Maître X., lesquels sont justifiés eu égard à la complexité du litige et des nombreuses prestations faisant l'objet d'un relevé détaillé non contesté par Madame A. La demande de X est donc fondée à concurrence de 1.172,56 euros.
La demande reconventionnelle de Madame A. visant le remboursement des provisions versées sera, par contre, rejetée.
Par ailleurs, il y a lieu également de rejeter la demande de dommages et intérêts formulée par Madame A. pour procédure téméraire et vexatoire dès lors qu'il est fait droit à la demande de Maître X.
La demande de Maître X visant la condamnation de Madame A. au paiement de 250 euros pour appel téméraire et vexatoire doit, elle aussi, être rejetée dès lors que, si son appel n'est pas fondé, il n'apparaît pas que ce soit avec légèreté ou dans le seul but de nuire ou à des fins dilatoires que Madame A. a interjeté appel de la décision du premier juge.
Bon à savoir
La circonstance pour un avocat d'avoir fait appel à un collaborateur pour le représenter à l'audience ne constitue pas une faute professionnelle, susceptible d'engager sa responsabilité.
Même si l’avocat a été choisi personnellement par le client, il est admis comme usage actuellement constant du barreau que celui-ci puisse faire appel à la collaboration d’un autre confrère. Néanmoins, « cet avocat demeure seul conventionnellement responsable envers son client de la bonne fin de la mission que celui-ci lui a confiée » 3.
Cela s’explique par le fait que l’avocat, ayant été choisi personnellement par le client, est devenu son mandataire 4.
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Tribunal civil Liège (4e chambre), 14 octobre 2009, J.L.M.B., 2010/30, pp. 1434-1437.
2. J.-P. BUYLE, La responsabilité professionnelle de l'avocat ", J.L.M.B., 1997/11, p. 441.
3. Liège, 24 février 1995, J.L.M.B., 1995, p. 10.
4. C. MELOTTE, « La responsabilité professionnelle des avocats », in Responsabilités. Traité théorique et pratique, Titre II, Dossier 28bis, p. 37.