Le secret professionnel de l'avocat dans le cadre d'un litige entre l'avocat et son client
Présentation des faits 1
Un avocat est le conseil d'une société suisse. Pour couvrir ses prestations, il reçoit à titre de provisions certains montants pour un total de 207.150 francs suisses.
Quelques mois après la fin de l'intervention de l'avocat, la société est déclarée en faillite. Une des administratrices spéciales demande à l'avocat de lui communiquer ses états d'honoraires définitifs pour justifier le décompte des provisions qui lui ont été versées par la société faillie. L'avocat lui répond que le décompte de ses prestations lui sera communiqué sous peu.
L'administratrice lui rappelle cet engagement par plusieurs lettres successives et lui demande également un bref avis de droit sur les procédures en cours en Belgique. L'avocat lui transmet cet avis mais ne répond toujours pas à la question portant sur ses honoraires et frais d'avant la faillite. Il lui annonce cependant l'envoi ultérieur de précisions, mais ces dernières ne seront jamais fournies.
Quelques années plus tard, les administrateurs spéciaux de la société décident d'assigner l'avocat et sa SPRL en remboursement du paiement indu et demandent leur condamnation solidaire à verser à la masse de la faillite du montant de 207.150 francs suisses.
Par un jugement du 12 septembre 2008, le tribunal de première instance de Bruxelles, donne raison aux administrateurs spéciaux et condamne l'avocat et la SPRL à rembourser cette somme en plus des intérêts compensatoires.
L'avocat et la SPRL interjettent appel de cette décision.
Décision de la Cour d'appel de Bruxelles
La discussion devant la Cour s'articule, dans un premier temps, autour des conditions de l'action en paiement de l'indu. La Cour énonce qu'il ressort de la nature même d'une provision qu'elle ne reste définitivement acquise à l'avocat que si celui-ci établit un état d'honoraires et frais définitif sur lequel la provision peut être imputée. Or, en l'espèce aucun état d'horaires et frais définitif n'a été adressé à la société faillie, ce qui suffit, sauf preuve contraire, à prouver l'existence de l'indu.
L'avocat et la SPRL ont toutefois la possibilité de démontrer qu'ils ont effectivement exercé des prestations ou supporté des frais correspondant aux provisions encaissées. Cette preuve peut notamment résulter d'un « état d'honoraires, frais et débours comprenant la description des devoirs accomplis, le résultat obtenu, le montant des honoraires, des frais et des débours, ainsi que les provisions, indemnités de procédure au autres sommes perçues » 2.
L'avocat et la SPRL invoquent cependant leur impossibilité d'apporter cette preuve sous peine de violer le secret professionnel. La Cour rappelle le principe selon lequel le secret professionnel de l'avocat ne vaut pas à l'égard de son client. Il est en effet fait exception au secret professionnel lorsque la responsabilité de l'avocat est mise en cause ou que ses honoraires sont contestés.
L'administration spéciale de la société faillie étant l'ayant cause du client de l'avocat, le secret professionnel ne peut lui être opposé. Bien que les administrateurs spéciaux représentent également les intérêts des créanciers de la faillite, cette double qualité ne crée aucun conflit d'intérêt justifiant que l'avocat puisse se retrancher derrière son secret professionnel.
Néanmoins, il se peut que l'avocat ait reçu certaines confidences de la part de l'ancien administrateur délégué de la société, lesquelles risqueraient d'être utilisées ultérieurement par l'administration spéciale de la société dans les procédures diverses qu'elle a intentées contre lui. La Cour estime, dès lors, qu'en vue de respecter l'article 458 du Code pénal, l'avis du conseil de l'Ordre sur la réalité des prestations effectuées et la conformité des honoraires et frais réclamés est nécessaire.
Bon à savoir
Le secret professionnel de l'avocat trouve son origine dans la nécessité de garantir aux justiciables que les informations qu'ils transmettent à leur avocat ne seront pas communiquées à des tiers et utilisées contre lui. Le secret professionnel protège non seulement l'intérêt du client mais aussi l'intérêt de la société car il permet d'assurer le bon fonctionnement du système judiciaire en permettant aux justiciables de s'adresser en tout confiance à un avocat 3.
L'article 458 du Code pénal qui prévoit les sanctions applicables en cas de violation du secret professionnel par son dépositaire, prévoit deux exceptions : le témoignage en justice et l'obligation légale de lever le secret professionnel.
Par ailleurs, la Cour de Cassation considère que l'article 458 du Code pénal ne s'applique pas lorsque le dépositaire d'un secret professionnel est amené à se défendre en justice 4. Lorsque la responsabilité professionnelle de l'avocat est mise en cause ou lorsque ses honoraires sont contestés, il est fait exception au secret professionnel afin de permettre à l'avocat de produire les éléments nécessaires à sa défense 5.
Cette exception vaut également en matière pénale, dans la mesure strictement nécessaire pour permettre à l'avocat de disculper des soupçons ou des accusations formulés à son encontre. Ses droits à la défense et son droit à un procès équitable, priment, en effet, les valeurs protégées par le secret professionnel 6.
Cependant, à l'occasion de sa défense en justice, un risque existe que les éléments révélés par l'avocat puissent être connus des tiers et utilisés en justice contre le client.
Dans le cadre d'une contestation sur les honoraires de l'avocat, il est parfois difficilement concevable que le demandeur ou son avocat puissent être contraints de produire des pièces relevant du secret professionnel au risque que la partie adverse conteste l'utilité de telle ou telle consultation. C'est pourquoi certaines décisions de justice estiment qu'il convient, dans de telles situations, de fixer le montant des honoraires ex aequo et bono 7.
Dans son arrêt du 22 mars 2013, la Cour d'appel de Bruxelles, a, quant à elle, estimé qu'il revenait au conseil de l'Ordre des avocats de se prononcer sur les prestations effectivement exécutées par l'avocat et sur la réalité des honoraires réclamés lorsque le secret professionnel fait obstacle à la production en justice d'un état de frais et honoraires définitif 8.
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1. Bruxelles, 22 mars 2013, J.L.M.B., 2014/29, p.1390.
2. Règlement du 27 novembre 2004 de l'Ordre des barreaux francophones et germanophone relatif à l'information à fournir par l'avocat à ses clients en matière d'honoraires, de frais et de débours.
3. Corr. Bruxelles, 29 mars 2001, J.T., 2001/27, p. 617.
4. Cass., 5 février 1985, Pas., 1985, p. 670.
5. J. Cruyplants et M. Wagemans, « Secret professionnel et protection renforcée des échanges avocat-client », J.T., 2005/31, p. 565.
6. H. D. Bosly et D. Vandermeersch, Droit de la procédure pénale, Bruxelles, La Charte, 1999, p. 294.
7. Liège, 14 décembre 2004, J.L.M.B., 2005, p. 686 ; Civ. Nivelles, 16 novembre 2004, R.G.A.R., 2005, p. 13948; Pol. Huy, 26 octobre 2004, R.G.A.R., 2005, p. 13947.
8. Bruxelles, 22 mars 2013, J.L.M.B., 2014/29, p. 1390.