Le devoir de l'avocat d'envisager d'autres modes de règlement de conflit en cas d'échec de la procédure envisagée
Présentation des faits 1
Un actionnaire détient la moitié des actions d’une société anonyme ayant pour objet l’exploitation d’un commerce de vente de pâtes alimentaires, constituée en mai 1994 avec un autre associé. Cet actionnaire reproche à son associé des fautes de gestion et des tentatives de dissipation de l’avoir social.
Il fait appel alors un avocat, en juillet 1995, pour tenter de trouver le moyen d’éviter que son associé continue à gérer la société à sa guise. L’avocat lui propose de déposer une requête en extrême urgence afin de désigner un administrateur provisoire. Mais, cette requête n’est finalement jamais déposée par l’avocat, nonobstant les nombreux rappels du client.
Le 30 novembre 1995, la société anonyme est déclarée en faillite, après qu’il ait été établi que l’associé ait revendu l’ensemble du matériel et détruit les écritures comptables.
L’actionnaire mécontent assigne alors son avocat en responsabilité.
Le premier juge va admettre l’existence d’une faute professionnelle dans le chef de l’avocat, mais va débouter l’actionnaire, en décidant que la perte d’une chance de voir désigner un administrateur provisoire n’apparaissait pas comme sérieuse.
L’actionnaire interjette, alors, appel contre la décision du premier juge.
Décision de la Cour
La Cour d’appel de Liège retient, tout d’abord, comme faute professionnelle le fait de s’être abstenu de toute intervention utile, alors qu’il devait déposer une requête en extrême urgence.
La Cour considère, ensuite, que l’avocat avait un devoir de conseil « non restreint » et était tenu, à ce titre, de rechercher un moyen d’empêcher l’associé de continuer à gérer à sa guise la société. Dans cette perspective, il lui incombait d’envisager, en cas d’échec de la procédure d’extrême urgence, d’autres modes de règlement de conflits, autrement dit de revoir sa stratégie et d’imaginer d’autres initiatives.
Quant au dommage et au lien causal, le client entendait démontrer que la faute de son conseil avait occasionné un dommage de 60.000 euros, qui était décomposé en un dommage moral et en un dommage matériel comprenant la perte de la valeur des actions de la société, les frais et honoraires des différentes procédures judiciaires entamées.
La cour estime que l’intervention utile de l’avocat n’aurait pas nécessairement permis d’éviter la survenance de la faillite. Partant de ce constat, la cour s’interroge quant à la possibilité réelle (ou la chance) d’une suppression du risque sans la faute reprochée à l’avocat, auquel cas le dommage consiste dans la perte d’une possibilité d’éviter un risque et ne peut couvrir l’intégralité du risque survenu. Il existait en l’espèce d’autres voies comme la reprise des actions par le client ou la remise du fonds de commerce.
Par conséquent, la Cour estime que l’avocat, en n’effectuant pas correctement son travail, a fait perdre une chance réelle à son client de voir sa société éviter la faillite et, par conséquent, la perte de valeur de ses actions et des possibilités de percevoir des dividendes. Le dommage, ne consistant qu’en la perte d’une chance, il ne peut recouvrir qu’une partie du risque survenu, de sorte qu’elle n’accorde qu’un dommage ex æquo et bono de 5.000 EUR.
Bon à savoir
Conformément à son devoir de conseil, « l’avocat ne peut laisser aucune solution au hasard » et doit avertir le client de toutes les possibilités existantes pour assurer la défense de ses intérêts 2. Il est ainsi tenu de revoir sa stratégie et d’envisager d’autres modes de règlement de conflit, dès le moment où la procédure qu’il a envisagée a échouée. A défaut, il est susceptible d’engager sa responsabilité 3.
Dans cette dernière hypothèse, le dommage du client consistera le plus souvent en la perte d’une chance certaine et raisonnable d’obtenir gain de cause 4. Mais, elle peut également entrainer un dommage moral pour le justiciable 5.
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Liège, 13 mai 2004, J.L.M.B., 2005, liv. 7, p. 289.
2. C. Melotte, « La responsabilité professionnelle des avocats », in Responsabilités. Traité théorique et pratique, Titre II, Dossier 28bis, Waterloo, Kluwer, 2005, p. 19.
3. J.-P. Buyle, « Rôle de l’avocat dirigeant le procès », obs. sous TPI Liège, 30 juin 2004, J.L.M.B., 2005, liv. 7, p. 298.
4. Liège, 20 octobre 1989, J.L.MB., 1990, p. 86 ; TPI Bruxelles, 14 avril 2000, J.L.M.B., 2001, p. 426 ; Gand, 23 juin 1998, R.G.D.C., 1999, p. 351 ; Liège, 30 octobre 2001, J.L.M.B., 2003, liv. 8, p. 334.
5. TPI Anvers, 22 novembre 2001, R.G.D.C., 2004, liv. 3, p. 148 ; Liège, 13 mai 2004, J.L.M.B., 2005, liv. 7, pp. 289 et s.