La responsabilité de l'avocat lors d'une citation
Présentation des faits 1
Monsieur A.L. s'est fait voler son véhicule en 1997. Sa compagnie d'assurance, la SA P., refusa cependant de l'indemniser. L'avocat P.M. fut chargé de la défense de ses intérêts. Il s'adressa à l'huissier de justice G.M., résidant à Namur, afin de signifier un projet de citation à comparaître à la SA P., dont le siège et l'inscription au registre du commerce se situent à Bruxelles. L'huissier de justice, à défaut de compétence territoriale, s'adressa à son confrère J.P.S., domicilié à Auderghem, pour qu'il instrumente en ses lieu et place. La citation fut effectivement signifiée le 18 novembre 1998.
Cela étant, la SA P. comparut devant le tribunal de première instance de Namur qui rendit son jugement le 22 juin 2001, déclarant la demande de Monsieur A.L. non fondée. En effet, la signification avait été faite à la SA P. Banque dont le siège était à Bruxelles, et non à la SA P. dont le siège est à Anvers, qui appartient au même groupe économique mais qui s'occupe de la partie assurances, alors que la SA P. de Bruxelles ne fait que des activités de banque et n'était donc pas fondée à payer des indemnités à A.L.
Le tribunal avait ainsi suivi les conclusions de l'avocat de la SA P. datant de 2000. Le fait que des courriers émanaient de Bruxelles n'était pas suffisant à fonder la demande. Chaque société a une personnalité juridique propre, ce qui fait que malgré la présence des deux SA P. dans le même groupe économique, l'une ne peut se voir condamner à la place de l'autre.
A.L. assigna alors la SA P. d'Anvers devant le tribunal de première instance de Namur, en 2002, mais sa demande fut déclarée prescrite.
A.L. sollicite alors la condamnation de son ancien avocat, P.M., ainsi que des huissiers de justices concernés.
Arrêt de la Cour d'appel de Liège
La Cour d'appel rappelle, au sujet des huissiers, qu'ils ont l'obligation de vérifier l'identité, le domicile et la qualité des parties à l'acte qu'ils doivent signifier. En citant la SA P. Banque et non la compagnie d'assurance SA P., il ne s'est pas comporté comme tout huissier normalement compétent placé dans les mêmes circonstances.
P.M., pour sa part, avait commis une erreur dans le projet de citation : il citait la SA P. Assurance, à Bruxelles, avec le numéro d'inscription au registre du commerce de la SA. P. Banque mais le mauvais numéro dans l'avenue. S'il n'est pas établi qu'il ait pu commettre une erreur lors de ce projet de citation que n'aurait pas fait n'importe quel avocat placé dans des circonstances similaires, il a en revanche commis une faute lors de la réception de la citation en retour qui émanait de la SA P. Banque en ne constatant pas l'erreur de l'huissier.
Si l'huissier de justice avait cité la SA P. Assurance ou si P.M. (ou encore l'avocat qui lui a succédé pour poursuivre la procédure) avait assigné cette compagnie, A.L. n'aurait pas perdu une chance d'obtenir gain de cause contre la compagnie et d'être remboursé.
Toutes les fautes concurrentes sont donc en lien causal avec le dommage et chacun doit réparer intégralement le dommage, si tant est qu'il soit prouvé.
Bon à savoir
Il est obligatoire pour un avocat, lorsqu'il lui est demandé de préparer une citation introductive d'instance, ou même lorsqu'il reprend une affaire en cours, de vérifier l'identité, le domicile et la qualité de la partie à citer. S'il omet de réaliser une pareille vérification, il peut engager sa responsabilité professionnelle et commet une faute. 2
La responsabilité de l'avocat peut également être engagée s'il manque à ses obligations en ne s'apercevant pas, lors d'un retour reçu par son huissier, qu'il y a eu erreur sur la personne à assigner. L'avocat doit en effet avertir son client et lui conseiller de citer la bonne personne. À tout le moins, en cas de doute sérieux, assigner à titre conservatoire la bonne personne pour éviter une éventuelle prescription. 3
Certains avocats écrivent dans le projet de citation à envoyer à l'huissier « sous réserve de vérification », par prudence. Cela ne suffit cependant pas à les décharger de leur obligation de vérification. D'ailleurs, l'absence d'une telle mention ne déchargerait pas l'huissier de sa responsabilité solidaire. 4
Le mandat de l'avocat est limité à l'accomplissement d'actes juridiques. Lorsqu'un avocat fait procéder à une citation introductive d'instance, il agit donc dans le cadre d'un contrat d'entreprise et non de son mandat. 5
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Arrêt de la Cour d'appel de Liège, 3e Chambre, 30 novembre 2010, J.L.M.B, 42/2013, p. 2141.
2. C. Mélotte, La responsabilité des professions juridiques, Kluwer, 2006, p. 112.
3. Arrêt de la Cour d'appel de Liège, 3e Chambre, 30 novembre 2010, J.L.M.B, 42/2013, p. 2141.
4. P. Depuydt, « Une question brûlante en matière de responsabilité de l'huissier de justice. L'avocat ou l'huissier : qui paie les pots cassés ? », R.G.D.C., 1996, p. 271 ; L. Vanhellmont, « La responsabilité des huissiers de justice », Ann. Dr., 1996, p. 400.
5. Arrêt de la Cour d'appel de Liège, 3e Chambre, 30 novembre 2010, n° 2008/Rg/1400, sommaire.