Le cumul de sanctions pénales et disciplinaires à l'encontre d'un avocat
Présentation des faits 1
Au début de l'année 2008, un avocat fut inculpé par un juge d'instruction pour avoir sciemment possédé des emblèmes, objets, films, photos, diapositives ou autres supports visuels à caractère pornographique, impliquant des mineurs.
Quelques jours plus tard, le procureur général de la cour d'appel dénonça ces faits au bâtonnier de l'Ordre des avocats. Sur base de ces dénonciations, le bâtonnier ouvrit une enquête disciplinaire à charge de l'avocat. En raison de la tenue d'une procédure pénale en parallèle, le bâtonnier adressa une lettre à l'avocat afin de lui indiquer qu'il souhaitait suspendre la procédure disciplinaire jusqu'à l'issue de la procédure pénale.
Par jugement du 14 octobre 2010, le tribunal correctionnel saisi de l'affaire dit la prévention établie et condamna l'avocat à une peine de dix mois d'emprisonnement et à une amende de 1.100 euros. En degré d'appel, le jugement fut confirmé sous la seule émendation que la peine d'emprisonnement principal fut prononcée avec un sursis d'une durée de cinq ans. Le pourvoi en cassation introduit par l'avocat fut rejeté.
Sur le plan disciplinaire, le conseil de discipline des barreaux du ressort de la cour d'appel de Liège a prononcé une sentence le 29 mars 2012 prévoyant la radiation de l'avocat du tableau de l'Ordre des avocats. L'avocat interjeta appel de cette sentence.
Décision du Conseil de discipline d'appel
Devant le Conseil de discipline d'appel, l'avocat invoque la violation du principe non bis in idem et affirme que les poursuites disciplinaires visent à le sanctionner une seconde fois et non en tant que les faits déjà sanctionnés pénalement constitueraient une atteinte à l'honneur de l'Ordre des avocats ou un manquement aux principes essentiels de la profession.
Le Conseil rappelle que le principe non bis in idem implique qu'une personne ne peut sanctionnée ni même poursuivie au pénal pour des faits qui ont déjà fait l'objet d'une condamnation pénale définitive.
Cependant, le Conseil constate que ce n'est manifestement pas le cas ici. Les poursuites ont un caractère exclusivement disciplinaire car elles sont relatives à un comportement supposé contraire aux règles professionnelles des avocats, elles sont fondées sur les règles propres à cette profession et la sanction encourue est de nature strictement professionnelle. En conséquence, le Conseil confirme la sentence, mais ramène la sanction à une suspension d'une année. Le Conseil ajoute qu'il « sera sursis pendant une durée de cinq ans à compter du prononcé de la présente sentence à l'exécution de la moitié de cette sanction (soit six mois), moyennant le respect par maître X. » de certaines conditions (n.d.l.r.: mis à jour du 17 septembre 2014).
Bon à savoir
Le principe du non bis in idem signifie qu'un même fait ne peut être sanctionné ni d'ailleurs poursuivi une seconde fois au pénal s'il a déjà fait l'objet d'une condamnation pénale définitive 2. Ce principe est notamment consacré par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques 3.
Cependant, l'action disciplinaire diffère de l'action pénale par son fondement, sa portée et son objectif. Si le juge pénal a déjà prononcé une condamnation, le juge disciplinaire peut encore infliger une sanction, la règle non bis in idem ne s'appliquant pas en la matière. L'autorité disciplinaire peut même y trouver une raison particulière de prononcer à son tour une sanction pour attente à l'honneur ou à la dignité de la fonction. Par ailleurs, si le juge pénal a renvoyé des poursuites la personne poursuivie, ou déclaré l'action publique éteinte, par exemple pour prescription de l'action publique, l'autorité disciplinaire peut encore intervenir et prononcer une sanction 4. Concrètement, un acquittement ou une condamnation au pénal n'exclut nullement une condamnation ou un acquittement au disciplinaire 5.
En effet, si le juge disciplinaire doit tenir compte de l'autorité de la chose jugée, rattachée à la constatation de la matérialité des faits faite par le juge pénal, le principe d'autonomie de l'action disciplinaire lui permet tout de même de qualifier les faits du point de vue strictement professionnel 6.
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Conseil de discipline d'appel de l'Ordre des barreaux francophones et germanophone, 20 février 2013, J.L.M.B., 2013/11, p. 656.
2. Corr. Nivelles, 27 janvier 2010, J.T., 2010/24, p. 425.
3. Article 14, alinéa 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
4. Mercuriale du Procureur général Jean du Jardin consacrée au contrôle de légalité exercé par la Cour de cassation sur la justice disciplinaire au sein des ordres professionnels, J.T., 30 septembre 2000, p. 631.
5. C. Cambier, Droit judiciaire civil, Larcier, 1974, tome I, p. 583, note 7.
6. J. Sace, « L'autonomie de l'action disciplinaire », in Rev. dr. U.L.B., 1991/4, p. 22.