L'obligation d'information et de conseil de l'avocat dans une matière controversée
Présentation des faits 1
Le litige oppose une dame dans le cadre d'un partage de l'indivision ayant existé entre elle et son ancien compagnon. Ils avaient acheté un immeuble en commun et, suite à leur séparation, désiraient vendre l'immeuble afin de mettre fin à l'indivision entre eux.
Après la vente de l'immeuble par le notaire instrumentant, le prix fut réparti entre les anciens compagnons. Madame, s'estimant lésée dans la répartition du montant, a introduit une action en justice. D'une part, afin d'obtenir la rescision pour lésion de la vente. D'autre part, afin d'engager la responsabilité de son avocat pour l'avoir mal conseillée en se basant sur une valeur de l'immeuble inférieure à la valeur réelle ainsi que pour avoir admis diverses revendications de monsieur comme dûment justifiées tant en fait qu'en droit ; alors qu'elles ne l'étaient pas ou pouvaient à tout le moins être contestées avec une chance sérieuse de succès.
Le Tribunal de première instance déclara la demande de madame non fondée. Cette dernière interjeta appel.
Décision de la Cour d'appel de Mons
Les débats devant la Cour s'articulent autour de l'avocat de madame et du bon accomplissement de ses missions. La Cour constate que la valeur de l'immeuble sur laquelle s'est fondé l'avocat n'est pas très éloignée du prix de vente obtenu ultérieurement. D'ailleurs, l'avocat avait prévenu sa cliente que le prix de vente pouvait être inférieur, mais aussi supérieur, selon le marché de l'immobilier. Ensuite, la Cour considère qu'étant donné les différentes créances que possédait monsieur, notamment pour avoir fait des investissements en fonds propres dans l'immeuble, le montant perçu par madame était tout à fait raisonnable.
Par contre, la Cour relève que l'avocat devait examiner si sa cliente était tenue de façon certaine au remboursement de sa part dans l'immeuble et dans les divers frais invoqués. Il appartenait à l'avocat, dans le cadre de son devoir d'information, d'expliquer clairement le contexte juridique des conséquences patrimoniales de la rupture d'un ménage de fait, pour permettre à sa cliente d'accepter, ou non, la transaction de partage en parfaite connaissance de cause.
Le fait que madame hébergeait seule l'enfant du couple séparé peut avoir des conséquences sur les arrangements financiers entre les anciens compagnons et il est du devoir de l'avocat de conseiller sa cliente sur ce point. Ne l'ayant pas fait, l'avocat a commis une faute qui a préjudicié sa cliente. Ce dommage doit s'analyser comme la perte d'une chance de conclure une transaction qui lui aurait été plus profitable. Cette perte de chance, compte tenu de la diversité des décisions en la matière et des éléments décrits ci-dessus, est évaluée en équité. En conséquence, la Cour condamne l'avocat à indemniser sa cliente pour son manquement à son devoir de conseil.
Bon à savoir
L'avocat est tenu par un devoir de conseil qui revêt plusieurs aspects. Il s'agit d'une obligation de compétence, d'une obligation d'investigation et d'une obligation d'information. Ce triple devoir implique que, après avoir vérifié sa compétence en la matière et effectué les recherches sur les dispositions légales applicables et sur l'état de la jurisprudence, l'avocat fournisse à son client toutes les informations utiles sur l'affaire concernée et sur les chances de succès d'un procès 2.
Lorsque la matière est sujette à controverses, l'avocat doit en informer son client et lui préciser si et dans quelle mesure la solution qu'il propose est incertaine 3. Ces obligations sont des obligations de moyen et non de résultat. Lorsque l’avocat a veillé à avertir le client de la controverse et des risques inhérents à chacune des positions, le client ne peut lui faire grief d’avoir choisi une méthode plutôt qu’une autre 4. Cependant, le client pourrait lui reprocher d’avoir opté pour la solution la plus risquée ou d’avoir invoqué une jurisprudence ou une doctrine minoritaire 5.
L'avocat a une obligation de moyen pour ce qui concerne les aspects matériels de son intervention (rédaction de conclusions, consultation, conseils et plaidoiries), tandis qu'il a une obligation de résultat pour les aspects plus formels de celle-ci (comparution à l'audience, introduction dans les délais) 6. L'avocat n'est pas déchargé de son devoir de conseil par les compétences des parties 7. Si ces dernières souhaitent engager la responsabilité de l'avocat, il leur appartient de démontrer qu'il ne les a pas correctement conseillées, notamment compte tenu des controverses qui existent dans la matière concernée.
Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.
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1. Mons, 14 mai 2009, J.L.M.B., 2010/30, p. 1423.
2. C. MELOTTE, « La responsabilité professionnelle des avocats », in Responsabilités. Traité théorique et pratique, Titre II, Dossier 28bis, Kluwer, dossier 28bis, Waterloo, Kluwer, p. 18 ; J.-P. BUYLE, ‘Le conseil efficace’, observations sous J.P. Liège, 4 sept. 1998, J.L.M.B., 1999, p. 466.
3. J.-L. FAGNART, « Observations » sous Cass., 4 janv. 1973, J.T., 1973, p. 552.
4. C. MELOTTE, « La responsabilité professionnelle des avocats », in Responsabilités. Traité théorique et pratique, Titre II, Dossier 28bis, Kluwer, dossier 28bis, Waterloo, Kluwer, p. 18.
5. Civ. Bruxelles, 14 avril 2000, J.L.M.B., 2001, p. 426.
6. J.-P. BUYLE, « La responsabilité professionnelle de l'avocat », J.L.M.B., 1997/11, p. 441.
7. Cass. fr., 27 novembre 2008, J.T., 2009/19, p. 341.