La détermination des frais et honoraires par l'avocat
Présentation des faits 1
Le 6 juin 1991, Madame J. décède.
Le 18 mars 1994, les consorts MM. L. consultent Maître S. à propos d’un litige qui les opposait à leurs cousins, les consorts B., quant à la succession de Madame J., leur grand-mère commune, dont la masse globale représentait quelque 370.000.000 BEF.
L’intervention de Maître S. s’est terminée par une transaction signée le 8 novembre 1996.
Maître S. a établi son état de frais et honoraires définitif, le 31 janvier 1997, à 14.500.000 BEF, dont il faut déduire les provisions versées de 4.000.000 BEF, ce qui représente un solde de 10.500.000 BEF.
Les consorts MM.L. ont toutefois contesté cet état.
En mai 1997, Maître S. a alors assigné en justice les consorts MM.L., en vue de leur réclamer le paiement du solde de 10.500.000 BEF, outre les intérêts, qui feront l’objet de capitalisation en cours d’instance (30 juin 1998, 30 juin 1999, 15 août 1992 et 21 août 1993).
Après avoir sollicité l’avis du conseil de l’Ordre des avocats du barreau de Bruxelles, qui a estimé que « l’état d’honoraires de Maître S. n’excède pas les bornes d’une juste modération et, pour autant que de besoin, que les frais de Maître S. sont conformes aux usages de la profession », le premier juge a déclaré l’action recevable et fondée.
Mécontents, les consorts MM.L. ont interjeté appel de la décision rendue en premier ressort.
Décision de la Cour d’appel de Bruxelles
La Cour d’appel de Bruxelles rappelle avant toute chose le contenu de l’(ancien) article 459 du Code judiciaire 2, aux termes duquel les avocats taxent leurs honoraires avec la discrétion qu’on doit attendre de leur ministère. La juste modération dont ils doivent faire preuve doit être appréciée en ayant égard notamment à l’importance de la cause et à la nature de leur travail. C’est donc l’avocat qui, avec la discrétion requise, fixe unilatéralement le montant de ses honoraires selon la méthode de calcul de son choix. Il n’est pas nécessairement tenu de quantifier le temps qu’il consacre à son dossier.
La Cour précise que ces principes ne sont pas mis en échec par le devoir d’information de l’avocat vis-à-vis de son client quant à la méthode de calcul choisie.
La Cour précise également qu’en l’absence de convention sur les modalités de fixation des honoraires, ceux-ci doivent être appréciés eu égard aux critères habituellement retenus en l’état de la déontologie du moment, soit l’importance de la cause, le travail de l’avocat, son autorité personnelle, la capacité financière du client et le succès obtenu. Le temps consacré par l’avocat à un dossier n’est, quant à lui, pas un critère de détermination des honoraires.
Elle vérifie ensuite, en exerçant le contrôle marginal qui lui est confié, si l’avocat n’a pas appliqué dans des conditions contraires à la bonne foi, la méthode de fixation des honoraires qu’il a choisi, étant entendu qu’elle ne saurait se substituer à l’avocat dans le choix qu’il a opéré.
En l’espèce, un manque d’information, voire l’absence de convention préalable sur les honoraires, est reproché à Maître S. par ses clients. En outre, la hauteur des provisions sollicitées (4.000.000 BEF) aurait été insuffisante par rapport à l’état final qui leur a été présenté. La Cour estime toutefois que les explications données par Maître S. pour justifier l’absence de discussion précise sur les honoraires paraissent crédibles et que les provisions demandées semblent modérées.
Par ailleurs, il ressort de l’avis du Conseil de l’Ordre que le litige successoral opposant les consorts MM.L. à leurs cousins était complexe et a obligé Maître S. à y consacre du temps et une énergie considérable.
Il apparaît de ce même avis que Maître S. a fait une application modérée de l’ancienne recommandation de l’Ordre national des avocats du 24 juin 1991 en ne tenant compte que des demandes sérieuses et en en limitant les montants.
Aucune faute ne peut dès lors être reprochée à Maître S.
Par conséquent, la Cour déclare l’appel recevable mais non fondé, et déboute les consorts MM. L.
Bon à savoir
Conformément à l’article 446ter du Code judiciaire, les avocats taxent leurs honoraires, avec la discrétion qu’on doit attendre de leur ministère. La fixation de leurs honoraires ne peut excéder les « bornes d’une juste modération », celle-ci s’appréciant eu égard notamment à l’importance de la cause et à la nature du travail.
Même si le droit de l’avocat de fixer ses honoraires, même unilatéralement, doit lui être reconnu, celui-ci est soumis aux balises légales découlant des articles 1134 et 1135 du Code civil et de l’article 446ter du Code judiciaire, ainsi qu’aux usages de la profession précisés dans le Code de déontologie qui réglemente la profession d’avocat.
En tout état de cause, l’avocat est tenu d’apporter à son client une information correcte et transparente le plus tôt possible au fil de son intervention 3.
A cet égard, l’Ordre des barreaux francophones et germanophone (OBFG) a adopté un règlement relatif à l’information à fournir par l’avocat à ses clients en matière d’honoraires 4, de frais et débours. Il est entré en vigueur le 1er mai 2005.
Ce règlement recommande à l’avocat d’apporter le plus de précisions possibles quant à sa manière de travailler et de s’efforcer de rendre prévisible le montant des honoraires, frais et débours qui seront portés au compte du client. Cette information par l’avocat sur la prévisibilité ne constitue toutefois pas une obligation, mais une recommandation 5.
Enfin, l’avocat risque d’engager sa responsabilité professionnelle s’il s’avère qu’il n’a pas agi avec la discrétion que l’on doit attendre de lui dans l’exercice de sa fonction.
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1. Bruxelles (21e ch.), 18 janvier 2007, J.T., 2007, p. 426.
2. L’actuel article 446ter du Code judiciaire.
3. Trib. civ. Nivelles, 16 décembre 2010, J.L.M.B., 2011/28, p. 1332.
4. Règlement de l’O.B.F.G du 27 novembre 2004 relatif à l’information à fournir par l’avocat à ses clients en matière d’honoraires, de frais et débours.
5. N. GHISLAIN, "Les avocats invités à la transparence", Journ. jur., 2005, liv. 39, pp. 2-3.