La perte d'une chance due à la négligence de l'avocat
Présentation des faits 1
Un avocat reçoit mandat d'introduire une action à l'encontre de la Communauté française de Belgique pour avoir commis des fautes en relation avec le suicide du fils de la cliente, qui fut renvoyé d'un établissement scolaire.
Cependant, il introduit tardivement l'action en justice. Le tribunal de première instance ayant admis que le délai de prescription était de cinq ans, a déclaré l'action prescrite.
La cliente de l'avocat, qui a perdu son droit d'agir en justice, intente une action en responsabilité à l'encontre de celui-ci. Le premier juge fait droit à la demande et condamne l'avocat du fait de sa négligence. Ce dernier interjette appel.
Décision de la Cour d'appel de Liège
La Cour constate que l'avocat avait reçu mandat pour que l'action judiciaire soit intentée en temps utile et l'a introduite tardivement sans aucune justification, provoquant un dommage certain à sa cliente puisque l'action a été rejetée comme atteinte par la prescription ; alors que si elle avait été introduite à temps, la juridiction saisie aurait pu examiner le fond de l'affaire.
La Cour considère également que le lien causal entre cette faute de l'avocat et la perte d'une chance de voir l'action examinée au fond est également certain. La perte de la chance a eu pour conséquence la perte de la probabilité d'obtenir l'indemnisation sollicitée à charge de l'institution qui, au vue des circonstances du renvoi, a commis des fautes en relation avec le suicide du jeune homme. En conséquence, la Cour confirme le jugement qui condamne l'avocat pour la perte d'une chance qu'il a causé à sa cliente.
Bon à savoir
L'avocat assume les responsabilités du mandataire et répond du préjudice qu'il cause en raison de ses retards ou négligences 2. Le préjudice peut consister en la perte d'une chance pour le client d'obtenir gain de cause dans la procédure qui le concerne.
La perte d'une chance réelle d'obtenir un avantage donne lieu à réparation s'il existe un lien de causalité entre la faute et la perte de cette chance. L'existence d'une chance n'implique aucune certitude quant à la réalisation du résultat espéré de sorte que le préjudicié peut obtenir la réparation de la perte d'une chance même s'il n'est pas certain que sans la faute le résultat aurait été obtenu 3.
Une condamnation pour la perte d'une chance requiert, d'une part, que le juge ne puisse laisser subsister aucun doute sur le lien de causalité entre la faute et le dommage, la perte d'une chance et, d'autre part, que la perte d'une chance soit la perte certaine d'un avantage probable 4. La probabilité découlant du caractère sérieux et raisonnable de la chance perdue 5, doit être complétée par la considération que la valeur économique de la chance perdue susceptible de réparation ne peut consister en la somme totale de la perte finalement subie ou du gain perdu 5.
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1. Appel Liège, 22 janvier 2013, J.L.M.B., 2013/34, p. 1756.
2. J.-P. Buyle, « Rôle de l'avocat dirigeant le procès », note sous Civ. Liège, 30 juin 2004, J.L.M.B., 2005, p. 297.
3. Cass., 15 mars 2010, R.G.A.R., 2010, liv. 8, p. 14.676.
4. G. Genicot, note sous Liège, 31 mars 2011, J.L.M.B., 2012, p. 1087.
5. B. Dubuisson, « La théorie de la perte d'une chance en question : le droit contre l'aléa ? », J.T., 2007, pp. 489 et s.
6. Cass., 17 décembre 2009, Pas., 2009, I, p. 3056.