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AVOCAT

Bon a savoir

22 Mai 2015

La théorie de la prescription du lien d'instance

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Présentation des faits 1

Le litige oppose l’O.N.S.S. à Monsieur X. Ce dernier a été cité le 1er  août 1989 en vue de le voir condamné à payer des cotisations de sécurité sociale. Le dossier a été renvoyé au rôle, puis omis du rôle. Monsieur X a rapidement contesté sa dette en concluant en octobre 1989, conclusions qui n’ont néanmoins pas été déposées au greffe.

En l’espèce, l’action a été introduite dans les délais. Elle est ensuite restée bloquée au point mort pendant plus de vingt ans après que Monsieur X eut conclu. En effet, l’O.N.S.S. répondra aux conclusions du défendeur par des conclusions transmises seulement le 2 juin 2005 et non déposées au greffe.

La cause fera l’objet d’une réinscription lorsque, en juillet 2010, le conseil de l’O.N.S.S. demande la fixation. Le Tribunal du travail a fait droit à cette demande.

Monsieur X a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment la prescription du lien d’instance.

La Cour du travail de Liège, dans son arrêt du 18 février 2012, décide qu’il y a prescription ou péremption du lien d’instance en raison de l’inaction du demandeur. Elle précise par ailleurs que les actes qui peuvent interrompre la prescription du lien d’instance sont notamment la mise au rôle et les pièces figurant au dossier de procédure visées à l’article 721 du Code judiciaire. Elle considère que les conclusions, pour être valablement reçues comme acte de procédure par le juge, doivent être communiquées à la partie adverse et déposées au greffe dans le délai fixé par le juge ou déterminé par les parties, selon les cas. Ces deux formalités sont essentielles pour interrompre la prescription du lien d’instance. Or, en l’espèce, elles ne peuvent valoir acte interruptif du cours de la prescription du lien d’instance, dans la mesure où elles n’ont pas été déposées au greffe.

L’ONSS a alors formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt.

 

Décision de la Cour

La Cour de cassation rappelle tout d’abord que la prescription est un mode d’extinction de l’action résultant du non-exercice de celle-ci avant l’expiration du délai fixé par la loi.

La Cour rappelle également que, conformément à l’article 2244, alinéa 1, du Code civil, une citation en justice, un commandement ou une saisie, signifiés à celui qu’on veut empêcher de prescrire, forment l’interruption civile.

Elle précise ensuite que lorsqu’une citation en justice interrompt la prescription en vertu de cette disposition, l’interruption se prolonge en principe, aux termes de l’article 2244, alinéa 1, dudit Code, jusqu’à la prononciation de la décision mettant fin au litige.

En considérant que l’absence d’acte de procédure accompli par le demandeur, dans le délai de la prescription de l’action que la citation en justice a eu pour effet d’interrompre, entraîne la prescription du lien d’instance existant entre les parties et en déclarant ainsi « la demande atteinte par la prescription du lien d’instance », l’arrêt viole l’article 2244 du Code civil.

Par conséquent, la Cour casse l’arrêt de la Cour du travail de Liège.

 

Bon à savoir

L’arrêt du 18 mars 2013 de la Cour de cassation, dont il est question, est venu trancher la controverse qui existait à propos de la théorie de la prescription du lien d’instance.

D’après cette théorie, « celui qui néglige durant plus de dix ans de diligenter une procédure judiciaire qu’il a mise en œuvre perdrait le droit de la poursuivre, comme d’en introduire une nouvelle ayant le même objet » 2.

Dans le même ordre d’idées, plusieurs cours et tribunaux avaient jugé que l’absence d’acte de procédure durant une période de dix ans entraînait ipso facto la prescription du lien d’instance 3.

Cette théorie a, par la suite, fait l’objet de critiques de la part de nombreux auteurs de doctrine. Ils estiment que l’effet interruptif de prescription de l’acte introductif d’instance se maintient aussi longtemps qu’une décision définitive n’a pas été prononcée 4. Ils s’appuient notamment sur l’article 730 du Code judiciaire, lequel dispose que l’omission n’éteint ni le droit, ni l’instance. La seule limite à observer est l’application du délai raisonnable, tel que consacré  par l’article 6 de la CEDH. Lorsqu’on introduit une affaire en justice, elle doit être examinée dans un délai raisonnable, qui s’apprécie en tenant compte de toutes les circonstances de l’espèce. En cas de dépassement de celui-ci, il appartient aux juridictions nationales de déterminer la sanction appropriée 5.

C’est cette position doctrinale, suivie également par une partie de la jurisprudence, qui a été confirmée par l’arrêt commenté.

 

Ndlr. : la présente analyse juridique vaut sous toute réserve généralement quelconque.

_______________

1. Cass., 18 novembre 2013, J.L.M.B., p. 922.

2. M. Marchandise, « A propos d’une prescription qui n’est pas : la péremption de l’instance », J.T., 2013, liv. 8, p. 129 ; A. Fettweis, Manuel de procédure civile, Fac. dr. Liège, 1985, p. 456.

3. Mons, 18 décembre 2009, J.L.M.B., 2011, p. 462 ; Civ. Liège, 9 mars 2011, J.L.M.B., 2011, p. 1767; Liège, 4 octobre 2012, inédit ; Comm. Bruxelles, 14 mai 2012, J.L.M.B., 2012, p. 1304, obs. Th. Delahayet ; Trib. trav. Tournai, 18 mai 2012, R.G. n° 08/200046/A, inédit. Contra : Liège, 4 février 2013, J.T., 2013, liv. 8, p. 140.

4. J.-F. van Drooghenbroeck et M. Marchandise, « Les causes d’interruption et de suspension de la prescription libératoire », in La prescription extinctive - Études de droit comparé, Bruxelles, Bruylant, 2010, p. 434 ; M. Regout-Masson, « La prescription libératoire en matière civile: Examen de la jurisprudence publiée de janvier 2007 à juin 2012 », J.T., 2012, p. 703 ; T. Delahaye, « Péremption et prescription du lien d'instance », obs. sous Comm. Bruxelles, 14 mai 2012, J.L.M.B., 2012, p. 1306 ; O. Dubois,« La prescription du lien d'instance? », Bulletin de prévention de l’O.B.F.G., 2012, n°20.

5. Trib. trav. Bruxelles, 7 novembre 2007, J.T., 2007, p. 840.